La société Bouygues Telecom avait installé une antenne relais donnant sur une cour d’école maternelle et primaire. En 2009, des parents d’élèves avaient assigné la société pour trouble anormal de voisinage afin de faire démonter l’antenne litigieuse sur le fondement du principe de précaution (article 1 de la charte de l’environnement).
En premier lieu, la Cour va rappeler les conditions de compétence de l’ordre judiciaire dans le contentieux des antennes relais, la société attaquée contestant l’incompétence du tribunal de grande instance pour juger cette affaire.
La Cour estime que le juge judiciaire est compétent pour connaitre des litiges relatifs aux antennes relais. En effet, la société Bouygues n’est pas attributaire du domaine hertzien mais seulement utilisatrice. De plus, les antennes relais ne peuvent pas être considérées comme un ouvrage public dans la mesure où « elles sont installées pour le compte d'opérateurs privés, sur des immeubles privés et ne bénéficient d'aucune protection particulière ». Il convient de préciser que la Cour a tenu compte de la jurisprudence récente (CA Paris, 26 mars 2009 SFR / Bouygues Télecom, Burel, Curien et Orange France ; CA Angers, 24 février 2010 ORANGE France / CASSEGRAIN et autres ; CA Pau 02 mars 2010 Orange France / Blot et autres ; CA Limoges, 09 mars 2010 Orange France et autres / Meneyrol Association le Bonheur est dans le près et autres dans son raisonnement).A contrario, la Cour de Cassation a indiqué que deux conditions cumulatives étaient nécessaires pour reconnaître la compétence du juge administratif, à savoir une occupation du domaine public et une concession de service public (Cass, 28 janvier 2009, n°0717212).
Conformément à la jurisprudence Commune d’Annecy (CE, 03 octobre 2008, req n° 297931) confirmé par la jurisprudence Association du quartier « Les Hauts de Choiseul (CE, 19 juillet 2010, req. n° 328687), la Cour se livre à une appréciation du principe de précaution.
La Cour doit déterminer si l’implantation de ces antennes constitue un trouble anormal de voisinage, entraînant un dommage certain, direct et actuel.
Dans ce cadre, la Cour s’appuie sur les études scientifiques les plus récentes, les conclusions de l’expertise internationale, et en particulier sur le communiqué publié le 25 mai 2009, prononcé à la suite du "grenelle des Ondes". Elle juge qu’ « en l'état des connaissances scientifiques actuelles, l'hypothèse d'un risque pour les populations émanant des antennes relais ne pouvait pas être retenue ». Selon elle, le principe de précaution ne peut être appliqué dans la mesure où l’état des connaissances actuelles ne permet pas de retenir l’existence d’un risque.
Dès lors elle considère que l’indétermination du risque évoqué ne permet pas de caractériser un trouble anormal de voisinage. Par ailleurs, elle précise « qu’il n’appartient pas au juge de la légalité de prendre en compte l'angoisse suscitée par la croyance, même erronée, de l‘existence d'un risque ».
Cette jurisprudence va à l’encontre de la jurisprudence de la Cour d’appel de Versailles du 4 février 2009 qui avait considéré d’une part que le respect des prescriptions légales et réglementaires n’excluait pas l’existence d’un trouble anormal (Cass. Civ. 3ème, 12 octobre 2005 ; Cass. Civ. 3ème, 24 octobre 1990), d’autre part, le risque d’un dommage pouvait être constitutif d’un trouble anormal (Cass. Civ. 2ème 24 février 2005 ; Cass. Civ. 2ème, 10 juin 2004).De même la cour d’appel de Paris avait reconnu dans son arrêt du 1er octobre 2010 (CA Paris, 1er octobre 2010, n° RG 10/04654, Rinckel c/ Société Française du Radiotéléphone - Orange France) que les particuliers sont en droit d'obtenir, la condamnation des opérateurs de téléphonie mobile à réparer les troubles de jouissance, l'indemnisation de leur préjudice physique et moral du fait de la présence d’antenne relais.
CA Lyon 3 février 2011, Association Respem c/ SA Bouygues Telecom, n° 09-06433
Pour en savoir plus :
COUR D’APPEL DE LYON
6ème Chambre
ARRET DU 03 Février 2011
R.G : 09/06433
Décision du Tribunal de Grande lnstance de LYON
Au fond
du 15 septembre 2009
RG : 09/07385
ch des urgences
ASSOCIATION R. E.S. P. E.M.
CI
SA BOUYGUES TELECOM
APPELANTS :
INTIMEE :
La Société BOUYGUES TELECOM SA
représentée par ses dirigeants légaux en exercice
32 Avenue Hoche 75008 PARIS
représentée par la SCP AGUIRAUD-NOUVELLET, avoués à la Cour
assistée de Me Christophe LAPP, avocat au barreau de PARIS
****
Date de clôture de I’instruction : 29 Octobre 2010
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 04 Novembre
2010
Date de mise à disposition : 03 Février 2011
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Monsieur MATHIEU, président
- Madame GUIGUE, conseiller
- Madame COLLIN JELENSPERGER, conseiller
assistés pendant les débats de Monique CARRON, greffier
A I’audience, Madame COLLIN JELENSPERGER a fait le rapport,
conformément à l’article 785 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu prononcé et signé par Monsieur
MATHIEU, Président, à l’audience publique du 03 Février 2011,
date indiquée à I’issue des débats par mise à disposition au greffe de
la cour d’a•pel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les
conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Monsieur MATHIEU, président, et par Monique CARRON,
greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
FAITS PROCÉDURE PRÉTENTIONS DES PARTIES
La société BOUYGUES obtenait successivement I’autorisation
d’établir, sur le territoire national, un réseau radioélectrique ouveft au
public en vue de l’exploitation d’un service de communication
•ersonnelle à la norme «DCS 1800», dénommée GSM et I’autorisation
ä’exploiter un réseau radioélectrique en vue de I’exploitation d’un service de communications personnelles à la norme UMTS.
Afin de couvrir les quartiers de Saint Jean et Saint Paul à LYON, elle concluait avec le syndicat des copropriétaires de I’immeuble sis 8 rue François Vernay un contrat de bail le 6 janvier 1999.
Estimant que l’immeuble sur lequel étaient implantées les antennes relais, se trouvait face à I’une des trois cours d’une école maternelle et primaire, certains parents, agissant tant en leur nom qu’en qualité de représentant légal de leurs enfants et l’Association RESPEM obtenaient l’autoris_ation de faire assigner à jour fixe la société BOUYGUES TÉLÉCOM aux fins d’óbtenir ‘le démontage des installations sous astreinte.
Suivant jugement rendu le 15 septembre 2009, par le tribunalde
grande instance de LYON, l’exception d’incompétence soulevée par la
société BOUYGUES au profit des juridictions administratives était
rejetée ainsi que les prétentions des demandeurs.
lls reprenaient leurs explications tenant à la compétence de
I’ordre juridictionnel saisi et entendaient conclure à titre principal sur le
trouble anormal de voisinage soutenant que c’était à tort que le premier
juge. n’avait pas retenu l’existence d’un inconvénient excessif de
vorsrnage.
A titre subsidiaire, ils sollicitaient le déplacement des antennes
relais au delà d’un rayon de cent mètres autour de l’école et I’allocation
à chacun d’eux d’une indemnité de 5 000 euros à titre de dommagesintérêts.
A titre infiniment subsidiaire, ils demandaient le respect de I’article
1 de la Charte de l’environnement issue de loi constitutionnelle du 1
mars 2005 dont I’article 5 institue un principe de précaution qui, selon
eux, aurait été mal apprécié par le tribunal.
En conséquence, ils sollicitaient le démontage des antennes sous
astreinte de 500 euros par jour de retard à I’issue d’une période d’un
mois suivant la signification de I’arrêt, A titre subsidiaire, ils demandaient le déplacement des antennes sous le même astreinte. A titre infiniment subsidiaire, ils réclamaient le démontage des antennes au visa des articles 1 et 5 de la Chafie de I’Environnement et ce sous astreinte
comme il était dit précédemment.
Dans tous les cas, ils sollicitaient la somme de 3 000 euros sur
le fondement de I’article 700 du code de procédure civile.
Le 26 octobre 2O1O,la société BOUYGUES TÉLÉCOM déposait ses dernières conclusions. La concluante reprenait devant la Cour les arguments développés devant le premier juge au terme desquels, le tribunal de grande instance était incompétent pour connaître du litige en ce que les prétentions des appelants se «rapportent nécessairement à I’occupation du domaine public»; - qu’ils devaient donc être renvoyés à mieux se pourvoir devant I’Ordre administratif.
De la même façon, la société BOUYGUES TÉLÉCOM soutenait qu’il n’existait pas de trouble anormal de voisinage en ce que les autorités sanitaires n’avaient pas retenu un risque quelconque démontré de nature scientifique.
S’agissant du principe de précaution invoqué par les appelants, la concluante observait que celui-ci ne pouvait pas être invoqué devant les juridictions de I’Ordre Judiciaire; - que I’absence de risques sanitaires ne permettait pas d’appliquer un tel principe. Elle estimait qu’il ne fallait pas «verser de manière timorée dans un immobilisme consistant à bloquer I’implantation d’antennes»; - qu’au contraire, il importait pour satisfaire au progrès de ne pas exiger le «risque zéro pour agir».
La société BOUYGUES TÉLÉCOM demandait en conséquence à la Cour de se déclarer incompétente. A titre subsidiaire, elle considérait que ses installations ne constituaient pas un trouble anormal de voisinage.
Dans tous les cas, elle sollicitait Ia condamnation de chacun des appelants à lui payer la somme de 1 500 euros sur le fondement de I’article 700 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture intervenait le 29 octobre 2010. L’affaire était plaidée le 4 novembre 2010 et mise en délibéré au 6 janvier 2011, déliberé reporté au 3 février 2011.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- Sur la compétence :
Attendu que la société BOUYGUES TÉLÉCOM reprend devant la Cour I’argumentation développée devant le premier juge, lequel, au terme d’un jugement particulièrement motivé, a jugé que les juridictions judiciaires étaient compétentes pour connaître du litige.
Attendu qu’ilest incontestable que la société BOUYGUES a reçu toutes les autorisations pour être non pas attributaire de I’espace hertzien, mais utilisatrice de celui-ci; - que la demande des appelants ne vise pas à contester ou à remettre en cause les autorisations délivrées à la société intimée, mais à établir la réalité d’un trouble anormal de voisinage.
Attendu que les antennes relais, ne peuvent pas être considérées comme un ouvrage public; - qu’elles sont installées pour le compte d’opérateurs privés, sur des immeubles privés et ne bénéficient d’aucune protection particulière; - que le démontage de telle ou telle de ces antennes, n’est pas de nature à remettre.en cause les autorisations obtenues par la société BOUYGUES TELECOM d’utiliser le réseau hertzien.
Attendu que dans ces conditions, il convient, en tenant le plus quand compte de la jurisprudence la plus récente, de rejeter I’exception d’incompétence soulevée par la société intimée et de confirmer le
jugement.
- Sur le trouble ANORMAL du voisinage :
Attendu que les parties soumettent à la cour le débat dans les
même termes que devant le premier juge qui a longuement motivé sa
décision de rejet; - que cependant de nouvelles pièces sont incluses
dans le débat contradictoire dont il conviendra de’tenir compte.
Attendu qu’il convient tout d’abord de souligner que pour être
invoqué à bon droit, le trouble de voisinage doit etre Anormal; - que
l’action en responsabilité qui s’en suit s’éxerce en vue de réparer un
dommage certain, direct et actuel.
Attendu qu’il ne peut être question d’opérer un glissement entre
un trouble anormal certain et un trouble hypothétique qui viendrait au
soutien d’une responsabilíté préventive engagée avant fout dommage.
Attendu que les études scientifiques les plus récentes ont
déterminé, en particulier, si on prend en compte le communiqué publié
le 25 mai 2009, à la suite. du «grenelle des Ondes», que l’expertise
internationale a conclu qu’à ce jour et en l’état des connaiséances
scientifiques actuelles, l’hypothèse d’un risque pour les populations
émanant des antennes relais ne pouvait pas être retenue.
Attendu qu’il faut rappeler que les connaissances scientifiques progressent chaque jour; - qu’il ne peut être question de juger un trouble anormal du voisinage que dans le cadie des connaissances actuelles sans pouvoir s’arroger le droit de préjuger des évolutions à venir.
Attendu qu’une telle attitude est confortée si on tient compte par
exemple du rapport ZMiROU, invoqué par les appelants, lequel doit étre
relu en tenant compte de la précision apportée par son auteur le 6 avril
2009,selon laquelle les antennes relais n’ont rien à «voir avec le principe de précaution; - qu’il en va de même du rapport BIOINITIATIVE qui
selon I’AFSSET ne respecte en rien les exigences de «l’expertise
collective» et doit être lu «avec prudence»
Attendu que dans ces conditions, et comme I’a parfaitement
souligné le premier juge dans sa motivation en page 14 du jugement
déféré, il n’appartient pas au juge d’arbitrer des controversês-et des
débats rendus nécessaires par le progrès scientifique; - qu’il se doit
seulement de rechercher s’il y a bien un trouble ANORMAL de
voisinage; - que I’indétermination dans laquelle nous nous trouvons
exclut un tel trouble; - que dans ces conditions, le jugement doit être
confirmé sur ce point.
- Sur le principe de précaution :
Attendu que le premier juge a parfaitement rappelé les termes de
l’article 5 de la Charte de l’Environnement; - que cependant, il appartient aux demandeurs d’apporter la preuve que la réalisation d’un domage pourrait affecter de manière grave et irréversible I’environnement et ne ferait pas l’objet de la part des autorités publiques de mesures d’évaluation régulières.
Attendu que le risque évoqué par les appelants a été pris en compte par les autorités publiques; - qu’il n’est pas rapporté ici, ni même demandé de rechercher par tous moyens d’instruction, d’éléments permettant de remettre en cause les seuils déterminés par décret, après synthèse des multiples recherches scientifiques sur le sujet; - que le juge ne peut donc pas se substituer aux pouvoirs publics alors qu’il ne peut pas lui-même se fonder sur une norme fiable nouvelle.
Attendu qu’il a déjà été rappelé que les autorités sanitaires, n’ont pas estimé en l’état des connaissances actuelles, devoir retenir I’hypothèse d’un risque pour les populations vivant à proximité des antennes relais; - que dans ces conditions, le principe de précaution ne peut pas être retenu, tant il n’appartient pas au juge de la légalité de prendre en compte l’angoisse suscitée par la croyance, même erronée, de I’existence d’un risque.
Attendu que le jugement déféré doit être confirmé en toutes ses
dispositions.
Attendu .qu’il n’est pas inéquitable de débouter la société BOUYGUES TELECOM de toutes ses autres demandes fondées sur l’application, en cause d’appel, de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris.
Rejette lgs lemandes formées en cause d’appel par la société
BOUYGUES TELECOM.
Condamne les appelants aux entiers dépens de l’instance, ceux
d’appel distraits au profit de la SCP AGUIRAUD NOUVELLET, avoué,
sur son affirmation de droit.